samedi 5 novembre 2011

Blogueurs en prison : quand l’armée égyptienne se fait justice


Dix mois après la révolte populaire qui entraîna la chute du président Hosni Moubarak, l’armée égyptienne fait défiler les uns après les autres ses opposants, blogueurs, journalistes et activistes devant le tribunal militaire.


Muselés par Moubarak, les activistes le sont désormais par l’armée, qu’ils ont interdiction de critiquer. Aux commandes après la fuite du président déchu, l’armée assure la sécurité, mais elle n’hésite pas à s’affranchir des libertés fondamentales. La liberté d’expression notamment.

Plus de 12 000 civils égyptiens ont été jugés par la juridiction militaire depuis la révolution. Parmi eux, Alaa Abdel Fattah, 30 ans, figure emblématique de l'opposition et de la blogosphère égyptienne qu'il structura dès ses premiers pas, en créant avec son épouse, Manal Hassan, un agrégateur de blogs qui permit à chacun de s'informer sur l’évolution et la croissance de l’opposition .

Alaa Abdel Fattah a été placé en détention provisoire le 30 octobre dernier par le Parquet militaire pour « incitation » à la violence lors d’une manifestation de Coptes. Le rassemblement avait au règlement de compte avec l’armée, qui n’avait pas hésité à projeter ses véhicules blindés sur les manifestants et à tirer sur la foule, faisant 25 morts.

Le jeune blogueur avait refusé d'être interrogé par le Parquet militaire accusant l’armée d’être à la fois juge et partie. Ironie du sort, Alaa Abdel Fattah s’était présenté de lui-même devant le Parquet, persuadé qu’en tant que civil, il n'avait aucun droit pour intervenir dans des questions judiciaires. C’est son refus de répondre aux questions qui l’a conduit directement en prison.

Equité

L’armée, au départ considérée comme légitime à gérer la transition jusqu’aux élections législatives de novembre, n’a su contrôler la situation qu’en abusant de son pouvoir et en utilisant la justice militaire comme un outil de répression contre les jeunes activistes, critiques vis à vis de cette gestion.

Pour Ayman Nour, membre du « No To Military Trials movement » (non aux jugements par les tribunaux militaires) en Egypte, « il s’agit du même régime usant des même techniques et tactiques qu’il a toujours utilisé ». Elle précise qu' « Alaa est une des rares personnes a avoir été emprisonné avant et après la révolution. »

En 2006 déjà, Alaa Abdel Fattah avait déjà été incarcéré pour ses activités militantes sous le régime du président Hosni Moubarak. Or la justice militaire ne respecte pas les garanties fondamentales d’équité.

Préoccupation

Dans une lettre intitulée « Retour aux geôles de Moubarak » qu’il a réussi à faire passer à sa femme, le blogueur porte un regard acerbe sur le régime militaire. «Je découvre la vérité sur le "retour de la sécurité" dans nos rues. Deux de mes compagnons de cellule sont des novices, des jeunes gens ordinaires, sans un atome de violence en eux. Et leur crime? Bandes de gangsters armés. Oui, Abou Malek est un groupe de gangsters armés à lui seul. Maintenant je sais ce que le ministère de l'Intérieur veut dire quand il nous régale chaque jour de nouvelles sur la découverte et l'arrestation des bandits armés. Nous pouvons nous féliciter sur le retour de la sécurité.»

A l’extérieur, sa femme perd peu à peu espoir de le voir sortir, et commence à compter les jours qui la sépare de son accouchement, elle qui est enceinte de neuf mois.



« Alaa se trouve dans la prison de Tora, il va bien mais j’ai le sentiment qu’il sera toujours en prison quand notre fils naîtra »

Le porte-parole du Quai d’Orsay a exprimé vendredi sa préoccupation à la suite de l'audition par le Parquet militaire d’Alaa Abdelfattah. «Sa mise en détention au motif qu'il demande à être entendu par une juridiction civile ne se justifie pas.»

La date d’un éventuel procès reste pour le moment, inconnue.

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